Prélude au Bachelier : deux romans inédits de Jules Vallès

Entretien vidéo de Michèle Sacquin, conservateur en chef au département des manuscrits, service moderne et contemporain, Bnf, et Silvia Disegni, professeur à l’université de Naples « Federico II »

Conservés par Séverine et dispersés en 1934, cinq ans après la mort de la journaliste, amie et dernière collaboratrice de l’écrivain, les manuscrits de Jules Vallès sont entrés à la Bibliothèque nationale de France en 1981. Ce fonds contient les manuscrits du Bachelier et de l’Insurgé, celui de l’Enfant ayant été perdu. On y trouve aussi, parmi de nombreux brouillons, sous le titre curieux de « L’Assommoir », les manuscrits de deux romans inachevés et inédits, méconnus des spécialistes.
Il s’agit de romans d’apprentissage racontant les déboires de deux bacheliers pauvres. Le premier, Aristide Gerdy, fils d’un proviseur de province, échoue successivement au concours de l’Ecole Normale Supérieure et à la licence. Le second, André Gerdit, issu d’une famille de paysans modestes, obtient sa licence de droit pour s’apercevoir trop tard qu’il n’a pas les moyens et les réseaux nécessaires pour exercer le métier d’avocat dont il a rêvé. En dépit du soutien de parents aimants, à l’opposé de ceux de Vallès, tous deux sont voués à la misère aussi bien par leur origine sociale que par leurs diplômes inutiles.

Ce thème, éminemment vallésien, est traité ici à la troisième personne ; il s’articule autour de héros dont la biographie présente des points communs avec celle du jeune Vallès qui tenta lui aussi la « Normale » avant de s’inscrire en Droit. « Victimes du livre », Aristide et André ne sont cependant pas des «réfractaires » mais des « réguliers » que leur naïveté et leur refus de l’engagement politique condamnent.

Probablement rédigées entre 1865 et 1869, peut-être pour une parution en feuilleton, ces « Mémoires d’un soumis » préfigurent les « Mémoires d’un révolté », titre original du Bachelier, dont ces manuscrits, chargés de ratures, de corrections et d’ajouts, éclairent singulièrement la genèse. Ces deux récits, écrits d’une plume caustique et sensible, sont, par ailleurs, curieusement actuels.