Le dossier de naturalisation de Guillaume Apollinaire : devenir français en 1914 en temps de guerre

Entretiens avec Annie Poinsot, chargée d'études documentaires, Archives nationales et Nicolas Mariot, chercheur au CNRS Les trésors du patrimoine écrit / Les documents de la Bibliothèque nationale de France - des Archives nationales à la loupe. Partenariat entre l'Institut national du patrimoine et Connaissance des arts. L'Inp, la BnF et les Archives nationales organisent chaque année un cycle de conférences consacrés aux trésors du patrimoine écrit. Conservateurs, historiens de l'art, spécialistes des textes et restaurateurs partagent avec les étudiants, amateurs et curieux leur savoir et leur passion autour de manuscrits et de documents originaux, qui sont exceptionnellement sortis des réserves de la BnF et des magasins des Archives nationales.

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Dès lors, Guillaume Apollinaire a deux objectifs : devenir français et s’engager dans l’armée. Dès le 5 août, il dépose une demande de recrutement à la Légion étrangère. Ajourné par le conseil de révision, le poète, déçu, persiste. Il rédige, le jour même de ses 34 ans, le 26 août 1914, une lettre demandant sa naturalisation. Plus tard, le 5 décembre, soit quatre mois jour pour jour après sa première tentative, il signe son acte d’engagement dans le 38ème régiment d’artillerie.

Cet acte d’engagement et cette lettre à l’écriture si proche des célèbres calligrammes et si riche d’informations, figurent parmi les 29 pièces de son dossier de naturalisation conservé dans la sous-série BB/11 des Archives nationales. Ouvert sous le numéro 13067 X 14 par le ministère de la Justice au nom de Kostrowitzky Guillaume dit Appolinaire (sic), ce dossier décrit le processus d’acquisition de la nationalité française. Il dresse également le portrait d’un engagé volontaire, « homme de lettres », né à Rome d’une mère polonaise mais de nationalité russe et de père inconnu. Ce patriote sans patrie sera naturalisé par décret du 9 mars 1916.

De même que Joseph Kessel, Blaise Cendrars et beaucoup d’autres, Apollinaire est devenu français par l’application de la loi du 5 août 1914 autorisant le gouvernement à naturaliser, sans conditions de résidence, les étrangers qui contractaient un engagement pour la durée de la guerre. « La naturalisation est beaucoup plus simple de cette façon » écrit Apollinaire. Son dossier éclaire donc également sur les procédures particulières mises en place lors des conflits mondiaux pour naturaliser mais aussi pour dénaturaliser.

Apollinaire est un ambassadeur idéal pour qui veut convaincre que les documents liés à la nationalité sont riches et passionnants. Outre l’intérêt de son dossier avec des lettre signées de sa main, des rapports du préfet de police ou de ses officiers supérieurs, outre le contexte extraordinaire du conflit mondial, il aiguise notre appétit pour les millions d’autres dossiers de naturalisations conservés aux Archives nationales témoignant des évolutions du droit de la nationalité mais racontant aussi des vies, des parcours et des aventures d’individus ou de familles entières. Tous voulaient devenir français. Ce fut le désir ardent et exaucé de Guillaume Apollinaire. Ses écrits font aujourd’hui partie du patrimoine littéraire français et son nom figure au Panthéon sur la liste des écrivains morts pour la France.